CANCER et REPRODUCTION : Enjeux 2010-2015

CANCER et REPRODUCTION : Enjeux 2010-2015 Fédération Française des CECOS

Les questions des effets secondaires et de la qualité de vie des patients après traitement anticancéreux sont aujourd’hui des préoccupations majeures. Malheureusement, les atteintes de la fonction de reproduction n’étaient pas clairement affichées dans les objectifs du précédent Plan Cancer ce qui fut la raison de la première prise de contact en 2004 entre la Fédération Française des CECOS et l’Institut National du Cancer. Elles constituent néanmoins des inquiétudes importantes pour beaucoup des patients lors de la mise en place des traitements anticancéreux, et souvent par la suite, à distance de ces traitements, lorsque la question se pose pour eux de trouver l’interlocuteur pouvant les aider dans ce domaine.
La préservation de la fertilité dans le cadre du cancer s’inscrit parfaitement dans la loi relative à la bioéthique adoptée le 6 août 2004 qui reconnaît expressément cette activité dans le Code de la Santé publique : « Art. L. 2141-11. − En vue de la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation, toute personne peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de tissu germinal, avec son consentement et, le cas échéant, celui de l’un des titulaires de l’autorité parentale, ou du tuteur lorsque l’intéressé mineur ou majeur fait l’objet d’une mesure de tutelle, lorsqu’une prise en charge médicale est susceptible d’altérer sa fertilité, ou lorsque sa fertilité risque d’être prématurément altérée. ».
La congélation des gamètes mâles, avant traitement à risque, est une activité bien identifiée, bien que, de nos jours encore quelques patients peuvent ne pas se voir proposer cette option. La congélation de tissus germinaux est une activité qui actuellement est en plein essor (une nécessité pour la femme et l’enfant désirant préserver leur fertilité avant traitement de haute toxicité) ; même si, les congélations des tissus germinaux et des ovocytes ne correspondent pas encore actuellement à des actes de biologie entièrement codifiés et validés, les progrès réalisés ces dernières années dans la cryopréservation du tissu germinal avaient pourtant amené le journal The Lancet à définir, en 2005, cette activité comme une « discipline émergente ».
La promotion de tous les aspects du thème « cancer et reproduction », conjointement auprès des équipes de Cancérologie et auprès des équipes de Médecine de la Reproduction est l’un des buts de la présente démarche.
Les enjeux des prochaines années dans le domaine de la préservation de la fertilité et le suivi des patients après traitement anticancéreux peuvent être regroupés en quatre thèmes :
- Les possibilités d’accès pour le patient aux moyens de cette préservation ;
- L’organisation des plateformes médico-techniques adaptées aux besoins ;
- L’organisation de la prise en charge et du suivi multidisciplinaires des patients en pré et post-traitement ;
- La recherche fondamentale, translationnelle et biomédicale.

I) Favoriser l’accès à une prise en charge pluridisciplinaire compétente :
A) Etat des lieux :
Le premier objectif doit viser à une meilleure connaissance de l’existant en matière de prise en charge des adultes, des adolescents et maintenant des enfants. Il nous semble indispensable d’assurer un continuum dans cette prise en charge des altérations de la fonction de reproduction de l’enfance à l’âge adulte dans le contexte de traitement du cancer.

1) Autoconservation de gamètes :
Chez l’adulte masculin les conditions de prise en charge se sont nettement améliorées ces deux dernières décennies (le nombre des hommes ayant pu faire une cryopréservation de sperme a été multiplié par quatre entre 1990 et 2000) et notamment ces dernières années grâce aux moyens qui ont été alloués aux CECOS par l'INCa. Près de 3000 patients confient annuellement leurs gamètes aux CECOS avant un traitement potentiellement stérilisant, et plus de 50000 l’ont fait depuis qu’ils proposent cette possibilité. 35000 patients disposaient en France de gamètes autoconservés au 31/12/2006 (Bilan Agence de la Biomédecine)
Chez l’adolescent l’autoconservation est possible. Sa faisabilité va dépendre de la maturité physiologique et psychique de l’adolescent mais également de la qualité de l’information (personnel spécifiquement formé) qui lui aura été apportée ainsi que des modalités de l’accueil qui lui sera fait dans le centre réalisant l’autoconservation.

2) Conservation de tissus germinaux, ovariens ou testiculaires :
Débutés en 1995 dans le cadre d’un protocole de recherche, le nombre annuel de prélèvements ovariens (enfant ou adulte jeune) avant traitement à risque était déjà de plus de 100 en 2006 . Plusieurs centres en France proposent aux patients cette préservation qui est un pari sur l’avenir. Actuellement, les parents et/ou les patients sont informés du caractère aléatoire d’une éventuelle utilisation, bien que quelques grossesses aient déjà pu être rapportées après greffe de fragments ovariens. Les perspectives sont toutefois très encourageantes.
Dans le sexe masculin, le prélèvement de tissu germinal testiculaire en vue de l’extraction de spermatozoïdes se pratique dans un certain nombre de centres chez l’adulte. En revanche, la congélation du tissu germinal testiculaire, pour l’enfant ou l’adolescent, n’est en développement que dans de rares centres motivés. Un PHRC national dans le champ du Cancer (Coordonnateur : Pr Nathalie Rives, Fédération des CECOS) débute afin d’étudier les effets des traitements sur le tissu germinal testiculaire obtenu lors des conservations réalisées chez l’enfant devant avoir une intensification thérapeutique ou un traitement de conditionnement avant auto ou allogreffe de cellules souches hématopoïétiques.
Organiser les moyens d’une telle préservation avant traitement à haute toxicité pour la spermatogenèse comme cela a débuté dans d’autres pays est pour nous un objectif affiché.

B) Information des patients :
Une enquête récente réalisée auprès de 18 CECOS a ainsi montré qu’en moyenne 10 % des autoconservations étaient réalisées chez des hommes de moins de 18 ans (Dr J.M Kunstmann, Fédération des CECOS, 2004) mais avec des extrêmes de 1 à 29 % suivant les centres. Les disparités régionales de prise en charge entrevues pour cette population d’âge sont vraisemblablement pour une part dépendantes de l’information des équipes et des patients et bien sûr des difficultés réelles d’aborder cette question dans cette tranche d’âge.
Un projet multicentrique débutant, retenu dans le cadre de l’appel d’offres « Adolescent et Cancer » de la Ligue Nationale contre le Cancer (coordinateur : Dr M. Daudin, CECOS de Toulouse, 23 CECOS impliqués) a pour objectif, par l’analyse rétrospective de près de 4000 dossiers colligés depuis 1975, d’une part l’étude de la faisabilité de l’autoconservation de sperme chez les adolescents et jeunes adultes (12-21 ans) et d’autre part, la recherche des facteurs prédictifs de l’efficacité de la prise en charge afin de proposer par la suite d’éventuelles attitudes correctives.
Un objectif à court terme devrait être le développement et la production d’instruments d’information adaptés et accessibles à tous les patients potentiellement concernés.

C) Bonnes Pratiques :
Dans le même ordre d’idée et avec le même objectif, une meilleure formation du personnel des Unités de Cancérologie, une harmonisation des pratiques et le développement de bonnes pratiques cliniques en matière d’autoconservation de gamètes et tissus germinaux devraient rapidement contribuer à l’amélioration des prises en charge. La France est relativement en retard dans ce domaine comparativement à d’autres pays.

II) Organiser au niveau régional et national les plateaux de cryobiologie dédiés à la reproduction :

A) Mise à niveau des plateaux techniques de cryobiologie :

Les plateaux de cryobiologie susceptibles de conserver des échantillons de gamètes ou tissus germinaux à très long terme, dans les meilleures conditions de qualité, sécurité, traçabilité et pérennité imposent actuellement des investissements matériels et informatiques de plus en plus conséquents et une formation du personnel adaptée et évolutive en fonction des exigences réglementaires.
Il apparaît important de les identifier afin que puisse être soutenue leur mise à niveau au plan technique et au plan des personnels.
Cette précaution est paradoxalement d’autant plus d’actualité que les pratiques d’autoconservation à usage autologue de gamètes et tissus germinaux ont été intégrées au cadre règlementaire de l’AMP par la Loi de bioéthique de 2004, et font depuis peu l’objet d’agréments des praticiens et d’autorisations des établissements qui dans les faits ne distinguent pas l’engagement de conservation à court terme qui caractérise les conservations participant aux protocoles d’AMP de l’engagement de dix, vingt ans ou plus que peut nécessiter la prise en charge d’un jeune patient avant traitement potentiellement stérilisant.
La répartition des moyens nécessaires, sur le territoire national, maillage sans saupoudrage avec pour objectif une organisation en réseau devrait permettre, tout en favorisant au mieux l’accès du patient aux soins, de gagner aussi en qualité scientifique et médicale.

B) Développement des compétences en thérapies cellulaires et tissulaires :
S’appuyant sur les résultats de la recherche scientifique dans ce domaine, les mêmes plateaux devront développer à moyen terme des différenciations dans les domaines de compétence des thérapies cellulaires et tissulaires pour répondre aux besoins de réutilisation des matériels biologiques préservés que ce soit sous la forme de transplantations ou sous des formes variées de maturation in vitro.
Cela fait bien entendu appel à une très haute technicité et à un savoir faire spécialisé. Des formations et des recrutements dans cet objectif devront être programmés.

III) Organisation de l’environnement médical pluridisciplinaire nécessaire à la prise en charge des patients en amont et en aval des conservations cellulaires ou tissulaires :
L’autoconservation préventive ne peut être conçue comme un simple geste technique ; elle suppose un accompagnement pluridisciplinaire, y compris psychologique, adapté à l’âge et au sexe du patient ; cet accompagnement doit reposer sur une équipe constituée et identifiée, rassemblant toutes les compétences requises.
Tant chez l’homme que chez la femme des problèmes de procréation et de sexualité peuvent survenir après les traitements. Les mêmes équipes pluridisciplinaires qui prennent en charge la préservation de la fertilité avant les traitements doivent pouvoir recevoir les patient(e)s afin de prendre en charge les déficits éventuels des fonctions endocrines et de reproduction, et les conseiller quant à leur possibilité d’envisager une procréation, soit dans les conditions naturelles, soit par recours, dans des conditions techniques à expliquer, aux gamètes ou tissus germinaux dont la conservation avait été réalisée.
Actuellement, souvent les patients ayant des problèmes cherchent à qui s’adresser. L’amélioration de leur qualité de vie gagnerait à des consultations spécifiques multidisciplinaires de suivi, tant en ce qui concerne les fonctions gonadiques que sexuelles. Le fait que les praticiens soient formés à ces prises en charge particulières permettra d’améliorer le service rendu. Par ailleurs, l’existence de ces consultations favorisera également la connaissance des conséquences de ces traitements sur ces fonctions et facilitera les études épidémiologiques.

IV) Favoriser la recherche :
A) Thématiques :

1) Réutilisation des tissus germinaux congelés :
Au-delà des congélations et des conservations de tissus germinaux, les modalités d'utilisation restent à développer. Il s'agit par exemple de promouvoir le développement de modèles animaux de gamétogenèses (folliculogenèse et spermatogenèse) in vitro et de greffes de tissus ou cellules germinaux, préalables nécessaires à une large application humaine.

2) Fertilité après traitement anticancéreux :
Dans un projet « Reproduction et Cancer » cancérologues et spécialistes de la reproduction devront réfléchir ensemble à la mise en place d'un suivi de la fonction de reproduction au sein de cohortes existantes ou de nouvelles cohortes de patients qui ont été ou seront traités pour une pathologie cancéreuse.

3) Qualité de la spermatogenèse et du gamète mâle ou de la fonction ovarienne :
Les effets délétères des chimiothérapies et radiothérapies sur la production de sperme sont relativement bien connus chez l’adulte. A l’inverse, l’action délétère des traitements anti-cancéreux sur le patrimoine génétique du gamète mâle est peu documentée chez l’homme. En règle générale, les études concernant les anomalies chromosomiques (structurales ou numériques) portent sur de petites séries et montrent des résultats contradictoires.
Un PHRC national, regroupant 12 équipes, est actuellement en cours au sein de la Fédération des CECOS afin d’évaluer « l’impact des chimiothérapies ou radiothérapies sur le génome du gamète mâle : GAMATOX » (coordinateur : Dr Bujan).
Cependant, les effets délétères des traitements reçus dans l'enfance sur la spermatogenèse ou la folliculogenèse à l'âge adulte sont peu documentés, en dehors des traitements à risque élevé d'infertilité. Des études doivent être menées chez le garçon traité dans l'enfance. Chez la petite fille, l'adolescente et la jeune femme, des études doivent permettre de suivre l'évolution de la fonction ovarienne à distance des thérapeutiques grâce aux nouveaux marqueurs d'évaluation de la fonction ovarienne. Une prévention secondaire de risque d'infertilité pourrait alors être proposée.

B) Moyens :

1) Mise en place d’études épidémiologiques
L’organisation efficace des soins et notamment du suivi des patients ouvrira aux équipes d’épidémiologie intéressées par ce domaine des axes de travaux destinés à mieux connaître les effets des traitements sur la fonction de reproduction. L’apparition constante de nouvelles thérapeutiques, dont les implications sur la reproduction humaine ne sont pas forcément connues, rehausse l’intérêt de cette approche.

2) Organisation des collections biologiques
Cet objectif est une retombée attendue d’une optimisation de l’organisation des moyens de la Cryobiologie réservés à la préservation de la fertilité. Les patients ayant demandé la préservation de leurs gamètes n’ont heureusement pas tous la nécessité de les réutiliser et beaucoup d’entre eux sont demandeurs de céder leurs échantillons pour la recherche en enrichissant ainsi des collections documentées.
La Fédération Française des CECOS s’est inscrite dans la démarche des CRB (Centre de Ressources Biologiques). Cinq centres ont obtenu de l’INSERM/ANR un financement pour la mise en place du premier CRB de gamètes « GERMETHEQUE ». (Coordonnateur Dr Bujan). Ce CRB a pour perspective et pour vocation de s’étendre à tout centre volontaire travaillant dans ce domaine. Il s’agit d’un projet innovant, sans équivalent sur le territoire, qui demande à être conforté et amplifié et qui pourrait profiter d’un réseau de centre de cryobiologie dédiés, tel que le propose ici la Fédération des CECOS. La collection de gamètes et d’ADN de patients volontaires ayant réalisé une autoconservation avant traitement pour cancer devrait favoriser de nombreuses études dans cette thématique.

3) Promotion les études expérimentales chez l’animal : Les objectifs en sont multiples :
-améliorer le prélèvement ou l’utilisation des cellules ou tissus germinaux,
par exemple :
- l’isolement de follicules primordiaux à partir des cortex ovariens ;
- l’isolement des cellules souches spermatogénétiques et leur réintroduction dans les
tubes séminifères après traitements
-étudier l’effet des traitements mis en oeuvre sur les gamètes,
par exemple les effets génotoxiques des anti-mitotiques.

4) Appels d’offre concertés INCa-Agence de la Biomédecine :
Compte tenu de l’organisation sanitaire actuelle, c’est notamment de la rencontre de ces deux agences que l’on peut attendre des propositions constructives dans ce domaine.
Le réseau de la Fédération Française des CECOS a déjà montré quant à lui, qu’il pouvait servir de support à un certain nombre d’entre eux.

CONCLUSION :
La prise en charge des patients ne peut reposer que sur la création ou le renforcement de structures pluridisciplinaires comportant des plateaux performants de cryobiologie permettant une prise en charge permanente au cours de l’année et surtout pérenne dans le temps. Le suivi des patients nécessite des consultations spécialisées adossées à ces plateaux techniques. Une organisation en réseau national devrait permettre de gagner en qualité scientifique et médicale. Les enjeux de la recherche dans ce domaine nous semblent particulièrement importants.
Enfin l’ensemble du dispositif ne peut être efficient sans un réel effort d’information des patients et des personnels impliqués.
La coopération de l’Institut du Cancer, de l’Agence de la Biomédecine et des professionnels concernés est à regarder comme un facteur déterminant.
Pr Jean-Luc BRESSON
Président de La Fédération Française des CECOS
Février 2009

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