Cancers épidermoïdes de l'œsophage : traitements palliatifs et de soutien 2010

La majorité des malades ayant un carcinome épidermoïde de l'œsophage vont décéder de cette pathologie : soit d'une récidive (ou d'une non-réponse) après un traitement initial à visée curative, soit d'une maladie déjà au delà de toute possibilité curative au moment du diagnostic. Les progrès thérapeutiques récents , notamment en endoscopie interventionnelle, permettant de retarder ou d'éviter la dysphagie et ses conséquences ont permis d'améliorer le confort de fin de vie de ces malades.

La place de la chirurgie comme traitement palliatif des cancers de l'œsophage est réduite. Elle peut aider à assurer un apport nutritionnel par la pose d'une gastrostomie ou d'une jéjunostomie d'alimentation. Les gestes de dérivation œsophagienne palliative permettant aux malades ayant une fistule œso-respiratoire de retrouver un certain confort de vie au prix d'une mortalité post-opératoire majeure ont été supplantés par les thérapeutiques endoscopiques.

Une irradiation exclusive peut être réalisée dans certaines situations palliatives. Il n'y a pas de consensus sur la façon de la délivrer ; on peut, par exemple, réaliser une irradiation concentrée délivrant 20 Gy en 5 fractions et en cas d'amélioration symptomatique la renouveler 3 à 4 semaines plus tard. Cette modalité a l'avantage par rapport à une irradiation classique (60 Gy en 6 semaines) de minimiser le temps de traitement, donc les déplacements et l'immobilisation du patient. Bien entendu la radiothérapie est le meilleur traitement en cas de métastase douloureuse (os) ou de compression médullaire.

La chimiothérapie exclusive peut se discuter chez des malades ayant une récidive métastatique extra-médiastinale, ou d'emblée métastatiques et n'ayant pas de dysphagie. Plusieurs agents sont intéressants en monothérapie : le 5 FU, le CDDP, la vinorelbine et les taxanes. Le carboplatine, plus facile à utiliser que le CDDP, ne peut pas être considéré comme un agent thérapeutique des cancers de l'œsophage (épidermoïdes ou adénocarcinomes), son taux de réponse en monothérapie étant très faible. L'association thérapeutique la plus utilisée est CDDP (75 à 100 mg/m2 à J1 ou J2) + 5FU (1 000 mg/m2 J1 à J4 ou J5) permettant un taux de réponse supérieur à 35 % en situation palliative. Cependant, un essai de phase II randomisé récent [2], comparant CDDP seul à CDDP + 5FU, a confirmé un meilleur taux de réponse avec l'association (35 % vs 18 %) mais sans gain en survie, la toxicité et la mortalité iatrogène étant plus importantes chez les malades traités par l'association.

Les traitements palliatifs les plus utilisés reposent sur l'endoscopie [3], dans le but de maintenir la perméabilité de la filière digestive et de permettre au malade de manger et de déglutir sa salive ; ils permettent ainsi un apport alimentaire, une certaine vie sociale et évitent les phénomènes de stase salivaire. La pose d'une gastrostomie endoscopique permet d'assurer l'apport alimentaire sans modifier les possibilités de déglutition. Les dilatations améliorent les malades de façon transitoire, mais il est nécessaire de les répéter toutes les 4 semaines avec un risque de perforation d'environ 5 % ; elles peuvent être utilisées chez des malades ayant une survie estimée très courte. La réduction tumorale peut être effectuée par photothérapie laser, par injection intra-tumorale d'agents nécrosants, par électrocoagulation, voire par irradiation intra cavitaire. Le laser Nd : YAG permet la vaporisation des tissus tumoraux avec amélioration nette de la dysphagie dans 80 % des cas après 3 à 5 séances ; des complications sévères (perforations, hémorragies, fistules) sont rapportées dans 5 à 15 % des cas même lorsque la photothérapie est effectuée de façon rétrograde après dilatation. Les tumeurs végétantes, celles du tiers moyen à sténose courte sont les plus accessibles à cette technique. La photothérapie dynamique donnerait moins d'effets secondaires sévères et serait plus efficace pour le traitement des tumeurs longues et infiltratives mais l'accessibilité à cette technique est réduite. Les meilleures indications de l'électrodestruction à la sonde Bicap® sont les tumeurs circonférentielles longues notamment de l'œsophage cervical ; les effets secondaires sont les perforations, les hémorragies et les fistules. Les tumeurs végétantes répondent souvent bien aux injections intratumorales d'alcool absolu ; 1 à 3 séances séparées de 3 à 5 jours sont nécessaires ; il faut réaliser de nouvelles injections toutes les 4 à 6 semaines ; les récidives post-radiothérapiques sont peu améliorées et donnent lieu à des complications (médiastinites ou fistules). L'irradiation intracavitaire, en positionnant après repérage endoscopique une sonde radioactive à haut débit (Iridium) dans la sténose tumorale, permet de délivrer 10 à 20 Gy en 2 à 4 séances séparées d'une semaine ; l'amélioration de la dysphagie est rapide ; les résultats de cette technique sur un œsophage déjà irradié sont moins bons et les risques d'ulcération creusante ou d'hémorragie importants.

Les prothèses [4] sont actuellement le moyen thérapeutique palliatif le plus utilisé pour les sténoses tumorales œsophagiennes ; elles sont indispensables lorsqu'il existe une fistule œso-respiratoire. Leur positionnement se fait en une séance et l'amélioration de la dysphagie est immédiat et durable dans 60 à 90 % des cas. Le positionnement des prothèses plastique nécessite une dilatation importante avec un risque de complications immédiates dominées par les perforations, la mortalité se situant entre 2 et 8 %. Les complications sont plus fréquentes en cas de volumineuse tumeur, de traitement préalable par radiothérapie ou chimiothérapie, ou lorsque les sténoses sont très serrées ou de la région cardiale. Plusieurs études ont comparé le traitement par laser à celui par endoprothèse. Leur efficacité et le taux de complication sont semblables mais le laser nécessite plus de séances. Les prothèses métalliques auto-expansives sont plus faciles à mettre en place et leur positionnement donne moins de complications immédiates car elles ne nécessitent pas de dilatation importante. Le taux de réussite est supérieur à 95 % et l'amélioration de la dysphagie est nette dans 80 à 100 % des cas. Les complications immédiates sont plus rares (5 à 10 %) mais des complications tardives sont observées dans 30 à 40 % des cas ; il peut s'agir d'hémorragies, de douleurs thoraciques, de prolifération tumorale intraprothétique avec les prothèses non couvertes, de migration avec les prothèses couvertes. Plusieurs types de prothèses métalliques sont actuellement disponibles. Il est difficile de définir les indications des différents types de prothèses. Les prothèses plastique ont l'avantage de pouvoir être retirées et d'être beaucoup moins chères ; elles sont moins bien tolérées dans les sténoses très serrées ou désaxées (douleurs, perforations, hémorragies) ; dans les sténoses proximales, les prothèses métalliques semblent mieux tolérées (utilisables pour des lésions dont le pôle supérieur est à 2 - 3 cm du sphincter supérieur) ; dans les sténoses basses ou cardiales, les prothèses métalliques non recouvertes sont préférables car elles ont moins de risque de se déplacer. En cas de fistule respiratoire, la mise en place rapide d'une prothèse œsophagienne associée ou non à une prothèse respiratoire est nécessaire ; les prothèses métalliques recouvertes et les prothèses plastique sont aussi efficaces. Dans tous les cas, il faudra rappeler au malade quelques règles simples d'alimentation : aliments coupés fins, bien mâcher, limiter les apports de fibres alimentaires, bien boire pendant les repas ; en fin de repas, prendre des boissons gazeuses pour « nettoyer « la prothèse ; il sera rappelé aux malades de ne pas se coucher immédiatement après les repas surtout si la prothèse est transcardiale, cas où un traitement antisécrétoire sera proposé.

Les traitements médicaux de soutien et palliatifs ont un grand rôle en préopératoire, au cours du traitement médical radio-chimiothérapique et, bien entendu, en fin de vie. Une dénutrition avec perte de poids est observée chez 40 à 80 % des malades atteints de CEO. Elle est due à l'anorexie et aux modifications métaboliques induites par la tumeur, puis à la diminution des apports liée à l'obstruction luminale. Elle majore les carences alimentaires fréquentes en cas d'intoxication alcoolo-tabagique. Les traitements induisent eux aussi des modifications aggravant cette situation précaire. Le caractère pronostique de cette dénutrition a été mis en évidence par plusieurs travaux. Un support nutritionnel [5, 6] doit donc être proposé aux malades qui présentent, soit une perte de poids surtout si elle est supérieure à 10 % au cours des 3 ou 6 derniers mois, soit une hypoalbuminémie inférieure à 35 g/L. Le type de support dépend de l'état de la filière œsophagienne. Avant obstruction complète, on peut mettre en place par voie naso-pharyngée une sonde en silicone (lestée ou non) ou en polyuréthane. Une alternative possible est la gastrostomie percutanée endoscopique. Ces deux voies d'abord, contrairement à la jéjunostomie, exposent au risque de pneumopathie d'inhalation. Le support nutritionnel fait appel à des mélanges polymériques standard ou à des mélanges hyperprotidiques hypercaloriques. Le choix d'une nutrition entérale cyclique en position semi-assise reste préférable. Les apports recommandés sont d'environ 1 600 à 2 400 kcal/24 heures, soit 30 à 45 kcal/kg de poids idéal, avec des apports hyperprotidiques de l'ordre de 12 à 18 g d'azote par 24 heures (0,2 à 0,35 g/kg/24 h). Cette supplémentation peut s'accompagner d'un syndrome de « refeeding » avec hypophosphorémie, hypokaliémie, hypomagnésémie. L'utilisation de la nutrition parentérale à domicile en situation palliative est peu fréquent en France et son intérêt clinique reste à démontrer dans les situations palliatives.

Les effets secondaires les plus fréquents des associations radio-chimiothérapiques sont les œsophagites. Leur retentissement hématologique est en général modéré. Les principales toxicités sont rapportées sur le tableau 1 . Elles sont plus fréquentes chez les malades à l'état général altéré ou dénutris.

Les douleurs sont fréquentes en fin d'évolution. Des douleurs intenses peuvent correspondre à un envahissement postérieur ; elles répondent bien aux opiacés (sous la forme de microgranules ou par voie transdermique). Lorsqu'elles sont liées à la déglutition, elles peuvent correspondre à la surinfection de la tumeur ; l'association aux antalgiques de traitements antibiotiques locaux (métronidazole), d'antifongiques peut les améliorer ainsi que la prise de Xylocaïne® visqueuse avant chaque prise alimentaire. L'hypersialorrhée réflexe est souvent très gênante chez les malades ayant une sténose tumorale empêchant la déglutition ; elle peut être améliorée par de la scopolamine par voie transdermique dont il faut connaître les contre-indications et les effets secondaires (confusion). Des aphtes ou des ulcérations labiales peuvent nécessiter des applications labiales de vaseline, des bains de bouche à l'aspirine, aux tétracyclines, aux antifongiques ou au métronidazole. Bien entendu, les corticostéroïdes sont un traitement d'appoint très intéressant pour améliorer la dysphagie (notamment post-thérapeutique) et pour relancer quelque temps l'état général. Dans tous les cas, la poursuite d'une alimentation entérale permet de retarder les complications trophiques, de limiter les surinfections et de garder au malade une certaine autonomie.

Les traitements palliatifs des cancers de l'œsophage permettent actuellement aux malades ayant une maladie au delà de toute ressource thérapeutique de s'alimenter correctement, d'éviter les complications pulmonaires ou ORL et de contrôler les douleurs le plus longtemps possible. Il leur est ainsi possible de garder un bon confort de vie tout en restant à domicile pendant la plus grande partie de l'évolution terminale de la maladie.

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