Cancer du sein 2010 : Nouveau traitement ciblé non toxique.


Le Dr Jean-François Pollet, cancérologue à l’hôpital Clairval de Marseille, explique son action.

Pouvez-vous nous indiquer la fréquence du cancer du sein ? Dr Jean-François Pollet. Dans nos pays occidentalisés, 1 femme sur 8 dans sa vie en est atteinte. En France, on recense 40 000 nouveaux cas par an dont 10 000 décès. C’est énorme ! Quand un cancérologue est-il habituellement conduit à prescrire une chimiothérapie ? Dr J.-F.P. Globalement dans trois circonstances. 1 En situation adjuvante, lorsqu’un cancer localisé présente un certain nombre de facteurs pronostics défavorables qui font craindre une évolution métastatique. 2 En présence de métastases, une situation de nécessité absolue : il s’agit de combattre les cellules cancéreuses ayant déjà essaimé dans l’organisme. 3 Quand une tumeur est trop importante pour être opérée d’emblée, qu’il faut la diminuer pour pouvoir l’enlever et éviter ainsi l’amputation du sein. Rappelez-nous les inconvénients de la chimiothérapie... Dr J.-F.P. Elle entraîne malheureusement une certaine toxicité, plus ou moins importante selon la molécule utilisée, responsable tantôt d’une alopécie (réversible à l’arrêt du traitement) et, sans médicaments adjuvants, de nausées, de vomissements, de troubles hématologiques (baisse de l’hémoglobine et des globules blancs et rouges) et d’une grande fatigue. Mais depuis quelques années, grâce aux médicaments de support qui diminuent fortement ces effets secondaires, les malades peuvent espérer continuer leurs activités professionnelle et familiale. On entre dans une nouvelle ère, celle des thérapies ciblées. Pouvez-vous nous la définir ? Dr J.-F.P. Avec la chimiothérapie, on attaquait de front des cellules cancéreuses avec une arme aveugle, sorte de bazooka qui bombarde indifféremment cellules malignes et cellules saines. Ces dernières années, les progrès en biologie moléculaire ont enfin permis de réaliser que le processus cancéreux ne sévit pas seulement au niveau du noyau de la cellule malade mais aussi à l’extérieur et à l’intérieur de sa membrane périphérique. Ainsi, sur la partie externe de la membrane existe un récepteur (sorte de porte d’entrée) nommé H.e.r. 2, lequel, dans environ 30 % des cancers mammaires, devient anormal, car suractivé, et entraîne alors une cascade d’événements indésirables qui aboutissent à une incessante division de la cellule. Au lieu de mourir normalement, par apoptose, elle se reproduit indéfiniment et devient immortelle. C’est donc le récepteur H.e.r.2 qu’il faut atteindre pour faire cesser le processus cancéreux. Quelle autre cible à abattre a-t-on découverte ? Dr J.-F.P. Sur la partie interne de la membrane cellulaire est située une autre “portion” du récepteur H.e.r.2 : une enzyme appelée tyrosine-kinase. Cette dernière joue un rôle clé dans l’activation de H.e.r.2 en déclenchant la cascade néfaste des événements. D’où l’idée d’aller bloquer une des deux parties du récepteur pour l’empêcher d’agir, stratégie de la thérapie ciblée dont le but est d’atteindre spécifiquement les cellules malignes sans nuire aux cellules saines de l’organisme. Jusqu’à présent, de quelles armes dispose-t-on dans ce domaine des thérapies ciblées ? Dr J.-F.P. Contre le récepteur H.e.r.2, on bénéficie toujours du traztuzumab, un médicament dont les effets secondaires sont à peu près inexistants. Il s’administre en perfusion toutes les trois semaines. En traitement adjuvant à visée curative, les bons résultats obtenus ont été démontrés dans de nombreuses études ; il complète l’action de la chimiothérapie en réduisant fortement les risques de récidive dans ces cancers particulièrement agressifs. Dans les situations à visée palliative, où les cancers du sein sont déjà métastasés, les rémissions (avec chimiothérapie plus traztuzumab ou traztuzumab seul) sont encore plus spectaculaires. D’autant plus que ce médicament permet de conserver une bonne qualité de vie ! Mais, malheureusement, après un certain nombre d’années, variable selon les cas, cette thérapie ciblée perd de son efficacité et un phénomène de résistance apparaît. Pour les cancers métastasés ne répondant plus au traztuzumab, quel nouveau médicament arrive sur le marché ? Dr J.-F.P. Le lapatinib, qui fait partie de cette nouvelle classe des thérapies ciblées. Il sera proposé aux patientes sous forme de comprimés en association avec un autre traitement par voie orale à base de capécitabine. Cette nouvelle approche agit spécifiquement au niveau de la tyrosine-kinase. Son effet va bloquer la cascade d’événements néfastes qui conduisent à la croissance anarchique des cellules. Quel recul a-t-on avec ce tout dernier traitement ciblé ? Dr J.-F.P. Une vaste étude, débutée il y a trois ans aux Etats-Unis sur 800 malades atteintes d’un cancer métastasé, a démontré : 1 Que le lapatinib agit sur les métastases cérébrales, ce que ne fait pas le traztuzumab. 2 Que le traitement associant capécitabine et lapatinib double le temps de rémission de la maladie ; son efficacité dans les cancers très évolués est comparable à celle du traztuzumab. 3 Il n’y a pas d’effets secondaires ni de risque de toxicité cardiaque. Un essai international de grande ampleur débute (étude Alto) sur 8 000 patientes avec, cette fois, une association de lapatinib, traztuzumab et une chimiothérapie séquentielle.

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