Où en est la recherche contre le cancer ?

urszula

Quels sont les grands progrès récents dans la recherche contre le cancer ?

Urszula Hibner : Ces dernières années, il y a eu trois grands types de progrès contre les cancers – car il existe beaucoup de cancers différents ! – : les avancées dans le domaine de la prévention, celles en matière de dépistage précoce et les progrès dans le traitement. En prévention, par exemple, est apparu en 2006 le vaccin contre le cancer du col de l'utérus, deuxième cause de mortalité féminine par cancer (chaque année dans le monde, près de 230 000 décès)… En diagnostic précoce, on peut citer l'augmentation constante et spectaculaire de la résolution des techniques d'imagerie médicale, comme l'imagerie à résonance magnétique (IRM) deux fois plus efficace que la mammographie pour détecter le cancer du sein, qui touche une femme sur huit… Enfin, concernant les traitements, il y a eu, entre autres, l'apparition des thérapies ciblées, toxiques seulement pour les cellules cancéreuses. C'est le cas du médicament imatinib (nom commercial : Glivec). Grâce aux avancées en prévention et en diagnostic et à celles des traitements, plus d'un cancer sur deux est guéri aujourd'hui en France !

Et les progrès en recherche fondamentale ?
U.H.
: Il y a eu ici aussi de nombreuses avancées. Ces dernières ont notamment permis de mieux comprendre les mécanismes moléculaires entraînant l'apparition et le développement des cancers, ainsi que l'action de certaines substances anticancéreuses. Et nombre de ces études ont été menées par des chercheurs du CNRS (lire l'encadré) ! Cruciaux, ces travaux ont déjà permis d'améliorer la prise en charge des patients… Ainsi, on n'aurait jamais pu mettre au point le fameux Glivec si des biologistes de recherche fondamentale n'avaient étudié de près, en éprouvette, le rôle de la protéine kinase Bcr-Abl, responsable de la prolifération de certaines cellules cancéreuses et dont l'activité est bloquée par le précieux médicament.

Quelles découvertes promettent beaucoup pour la médecine de demain ?
U.H. :
Il y en a beaucoup. Citons la découverte, il y a quelques années, de l'implication de l'inflammation, une réaction immunitaire spéciale, dans l'initiation des cancers ; les progrès réalisés en génétique pour déterminer les gènes particuliers « allumés » dans certaines tumeurs, qui pourraient bien mener à des traitements « à la carte », ne s'adressant qu'aux patients portant les formes « actives » de ces gènes et non aux autres chez qui ils seraient inefficaces, voire toxiques ; la découverte de certaines cellules souches adultes, capables de s'autorenouveler et de se multiplier, soupçonnées d'être à l'origine des récidives ; la meilleure compréhension de la fonction des « micro-ARN », ces petits éléments génétiques jouant un rôle crucial dans l'apparition des cancers, très étudiés dans un laboratoire CNRS à Strasbourg ; etc. D'une manière générale, les chercheurs du CNRS ont grandement participé à toutes ces avancées. Autre preuve récente : en novembre 2008, une équipe comprenant des chercheurs CNRS et Inserm a montré qu'une anomalie sur un gène codant pour une molécule de l'inflammation pouvait entraîner une tumeur.

Quels sont les principaux objectifs des scientifiques à court et moyen termes ?
U.H. :
Notre principal effort vise à poursuivre l'étude des bases moléculaires et génétiques du vivant pour mieux cerner comment survient la dérégulation de la prolifération des cellules provoquant les cancers. C'est là un défi primordial, car c'est sur ces bases qu'il faudra jouer pour mieux traiter les tumeurs. Notamment, nous devons mieux comprendre le rôle, dans la survenue des cancers, des cellules saines et des vaisseaux sanguins en contact avec la tumeur : ce que nous appelons « le micro-environnement de la tumeur ». Sachant que la progression d'une tumeur ne dépend pas que de la masse de cellules qui la forme mais aussi des cellules saines autour. Par exemple, dans mon laboratoire de l'Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM) 1, nous étudions l'impact de ce « micro-environnement » dans le cas du cancer du foie. Les études en épigénétique, qui concernent les changements héritables mais réversibles sur l'ADN, sont également très prometteuses, et une nouvelle unité CNRS, « Épigénétique et destin cellulaire », vient d'être créée à Paris. Les chercheurs tentent aussi de mieux cerner un fait surprenant : comment la tumeur change la fonction des cellules impliquées dans nos défenses naturelles, les cellules immunitaires (« lymphocytes », « macrophages », etc.), chargées de détruire les cellules anormales comme les cancéreuses, pour les détourner vers un rôle inverse – permettre le développement de la tumeur. La thérapie basée sur la manipulation de nos cellules immunitaires, l'« immunothérapie », est probablement l'une des pistes majeures à suivre pour la médecine de demain. Des équipes CNRS marseillaises travaillent sur cette dernière piste.

Comment est structurée la recherche dans ce secteur en France ?
U.H. :
Pour résumer, il y a d'un côté les organismes chargés de réaliser la recherche, comme le CNRS et l'Inserm : le CNRS fait plus de recherche fondamentale alors que l'Inserm mène plus de travaux cliniques (sur les patients). De l'autre côté, il y a les organismes soutenant financièrement la recherche : l'Institut national du cancer (Inca), l'Agence nationale de la recherche (ANR), la Ligue nationale contre le cancer (LNCC), et l'Association de recherche contre le cancer (Arc). Lancé en mai 2005 et placé sous la tutelle des ministères de la Santé et de la Recherche, l'Inca a pour vocation – entre autres – d'harmoniser l'effort de recherche sur le cancer en proposant et en finançant des actions de recherche interdisciplinaires ; il dépense 30 millions d'euros par an pour ces actions. Notamment, l'Inca cofinance avec le CNRS et l'Inserm des projets de recherche promouvant la création de jeunes équipes de chercheurs : les « Actions thématiques et incitatives sur programmes et équipes » ou « Atip » pour le CNRS ; et les « projets Avenir » de l'Inserm. Établissement public créé en janvier 2007, l'ANR, elle, a pour objectif d'accroître le nombre de projets de recherche, venant de toute la communauté scientifique, financés après mise en concurrence et évaluation par les pairs. L'Arc et la Ligue, enfin, allouent à la recherche des fonds provenant entièrement de donateurs privés.

Quelques mots sur le Plan cancer ?
U.H. :
Ce plan a été lancé en 2003 pour améliorer la prévention, le dépistage, le traitement et la recherche. Il a eu plusieurs effets positifs. Du point de vue des patients, il a donné lieu à des tentatives afin de favoriser l'égalité de tous à l'accès aux soins. Leur prise en charge et leur information ont été déjà améliorées. Pour ce qui est de la recherche, ce Plan est d'une part une source importante de financement ; d'autre part, il a rendu possible une meilleure organisation des efforts entre les différents acteurs de la lutte contre le cancer (CNRS, Inserm, hôpitaux et centres de lutte contre le cancer). Grâce à lui, les scientifiques de la recherche fondamentale commencent à s'ouvrir à des contacts avec les cliniciens ; bien sûr, la communication entre ces deux mondes n'est pas encore parfaite, mais il y a de plus en plus de passerelles. Les chercheurs apprennent auprès des médecins et participent à l'élaboration des thérapies futures. Pour renforcer ce cercle vertueux, il faut une recherche fondamentale libre et de plus haut niveau. C'est là la mission et l'ambition des équipes du CNRS.

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